Regards croisés sur l’augmentation des performances du soldat

Le Centre de Recherche des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, en collaboration avec la Fondation pour l’Innovation Politique, organise le mardi 15 janvier 2019 après-midi à l'école Militaire à Paris une journée d'études sur le thème " Regards croisés sur l’augmentation des performances du soldat "



Sur les enjeux d’une éthique militaire de l’augmentation, cette journée d’études du 15 janvier 2019 sera préparatoire à une autre journée qui portera spécifiquement sur cette question et qui sera organisée en 2019 par le CREC Saint-Cyr en coopération avec EuroIsme. (date à définir)

Le monde militaire et le monde civil sont par essence étroitement liés. Les Armées sont en effet constituées d’hommes et de femmes issus de la société civile et qui ensemble composent les différents corps au service des intérêts supérieurs de la Nation.

Après une sélection selon des critères physiques et psychologiques, les Armées forment les jeunes hommes et femmes qui la rejoignent à un métier. Pendant plusieurs mois, ils acquièrent les savoir-faire et de savoir-être qui leur seront nécessaires, allant de la persévérance au dépassement de soi, ces valeurs militaires pour le service d’une cause supérieure pouvant aller jusqu’au sacrifice ultime.

Face à la brutalité des combats il a de tout temps été recherché, par l’entraînement ou l’usage de nouvelles techniques d’armement, de donner à l’Homme les moyens de prendre l’ascendant sur l’ennemi. Or aujourd’hui apparaissent de nouvelles perspectives inédites de renforcement des capacités humaines, tant sur le plan physique que psychologique, au travers de nouvelles technologies qui pourraient permettre de renforcer et d’accroitre encore ses capacités, voire de dépasser les limites actuelles de la condition du combattant par incorporations de technologies ou par des moyens faisant corps avec lui.

Si jusqu’à présent, le métier des armes impose que le militaire se prépare physiquement et psychologiquement au combat au profit de la mission et du collectif, dans une fraternité d’armes, l’évolution des mœurs observée dans la société civile et l’apparition de nouvelles technologies pourraient remettre en cause ce paradigme.

En effet, un nouveau concept de société de performance tend à se développer depuis ces dernières décennies porté par un individualisme toujours plus poussé avec sa propre finalité de satisfaction personnelle, avec parfois un objectif d’amélioration sociale. Or si la société affiche bien une volonté de mieux vivre ensemble, cette tendance et cette quête infinie du meilleur, centrée sur soi, pourraient entrer en contradiction avec les valeurs militaires.

Au regard des usages qui se développent dans le monde, comme l’hyperconnectivité des individus, l’augmentation représente un besoin qui dépasse la sphère purement privée et envahit le monde du travail, les armées y compris.

Mais qu’advient-il lorsque le naturel ne suffit plus à surpasser l’autre ? L’augmentation devient une solution, soit acceptées comme les chirurgies esthétique ou réparatrice, soit condamnée lorsqu’on parle de dopage. La société norme ce qui est acceptable selon son prisme moral, éthique ou judiciaire du moment dans une approche que Machiavel décrivait à son époque comme une fin en soi qui justifie les moyens. Or ces moyens se développent rapidement à l’échelle de notre village planétaire avec de potentiels glissements culturels ou idéologiques pouvant dériver vers un transhumanisme. Or le soldat influencé par son éducation, son environnement ou ses études et qui se met au service de son pays est avant tout citoyen, il fait partie de cette communauté d’individus qui constitue le monde civil.

Cette journée d’études organisée par le CREC Saint-Cyr et la Fondation pour l’Innovation Politique fait suite aux travaux déjà initiés par le CREC dont les premiers résultats ont été publiés dans un cahier de la Revue de la Défense nationale « Le soldat augmenté » . Si l’objectif à terme vise à proposer aux états-majors un ensemble de recommandations, il s’agira avant tout d’analyser les ressorts de cette (r)évolution sociétale en puissance (1)  qui pourrait être celle d’une société de personnes qui choisirait de s’augmenter et où les militaires seront également acteurs. Cette étape devrait permettre de mieux identifier et mesurer les conséquences sociologiques pouvant impacter durablement les Armées (2)  mais aussi les enjeux en découlant pour l’éthique militaire (3) .




Partie 1. Une augmentation favorisée par un nouveau contexte.

   Article 16-3 alinéa 1 du code civil : « Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui ». Pourtant les NBIC (nanotechnologie, biotechnologie, informatique et sciences cognitives) apportent des possibilités qui dépassent un cadre purement médical ou thérapeutique. Les règles de droit sont le reflet des mœurs d’une société, son étude révèle une véritable inflation des droits subjectifs au lendemain de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce concept juridique issu de l’Histoire moderne constitue l’un des terreaux à l’évolution rapide et récente de la société.  

Dotés de ce nouveau contexte, accru par l’accélération du développement technologique, les usages de la société civile s’en trouvent bouleversés, les limites semblent avoir disparu: dopage, transformation du corps, pratiques sportives extrêmes, etc., bien que sujets aux différentes approches culturelles et religieuses.


Mais l’augmentation ne doit pas être abordée uniquement sous le prisme du danger et de l’inconvénient, car son développement maîtrisé peut contribuer à assurer une efficacité et efficience consubstantielles au monde militaire. La recherche d’un équilibre entre la finalité de l’Armée et ses valeurs appelle à apprécier l’ambivalence de l’augmentation sous deux principaux angles: sociologique et éthique.

Partie 2. L’étude sociologique de l’augmentation.

 En dépassant l’opposition progressistes-conservateurs, inévitablement ce colloque devra aborder la question de la perception de l’augmentation. Plurielles, les réactions susceptibles d’émerger face à la transformation devraient varier selon sa destination (pour qui), selon sa finalité (pour quoi) et son usage (comment).

Plus concrètement, qu’adviendra-t-il de la question du recrutement dont la sélection, incontournable, était justifiée par l’inégalité naturelle des individus? Comment gérer cette nouvelle égalité artificielle de l’individu déjà “augmenté” dans sa vie civile et qui souhaite intégrer les forces françaises ?  Son acceptation pose de nombreuses interrogations sur l’organisation des ressources humaines des Armées, notamment sur le mérite, l’évolution de carrière et les interactions entre soldats augmentés et soldats non-augmentés.

En écho à la question du sens de l’engagement d’un soldat qui risque sa vie pour autrui et pour un bien commun, quelle augmentation par des valeurs les Armées sont-elles en mesure de présenter, et comment ces valeurs sont-elles susceptibles de transcender une approche purement technologique de l’augmentation ?

Elle pose également la question de la position des nations conservatrices refusant par principe de considérer l'augmentation pour ses soldats et qui serait confrontée à des groupes n'ayant pas les mêmes préoccupations. Position qui pourrait à terme devenir inconfortable si l’opinion publique ou l’approche internationale optaient pour une approche différente.

Partie 3. La recherche d’une éthique militaire sur l’augmentation.

L’augmentation interroge sur le principe même de dignité de la personne humaine, face à la tentation du contrôle humain par la technologie (ex : implants cérébraux). Notion mouvante et polysémique, une délimitation de sa définition au travers d’une confrontation de ses différents sens, notamment une vision internationale, devrait permettre de comprendre l’essor du courant transhumaniste. La dignité de la personne humaine en France n’étant plus aussi universelle, la considération du corps comme un simple amas de cellules devenu un simple objet-vivant devrait conduire à examiner ce qui constitue l’essence de l’Homme. Cette partie s’avère indissociable au domaine milliaire: le soldat en opération, qui côtoie la souffrance et la mort tout au long de sa carrière, se retrouve confronter à des questions existentielles tant sur les valeurs qu’il porte que sur ce qu’il est. La convergence d’une réification de l’Homme par l’augmentation et d’une humanisation de la machine par l’intelligence artificielle place le soldat au centre d’un système qui le conduira à s’interroger encore plus sur la raison de son engagement à servir.